27 mars, 2019

Migration Féminine Tunisienne à l’aire de la Révolution

Anne Golub, Mirjana Morokvasičet et Catherine Quiminal montrent dans un article paru en 1997 “Évolution de la production des connaissances sur les femmes immigrées en France et en Europe” la rareté de l’adoption d’une perspective de genre lors des études à propos des migrations.
En effet, la mobilité féminine a été longtemps considérée comme le résultat de l’émigration masculine et du regroupement familial, d’ailleurs, les travaux de Jocelyne Streiff-Fénart, Souad Elhariri ou Ahsène Zheraoui analysent la migration des femmes uniquement par rapport à leur époux et/ou à leurs enfants.
L’amalgame fait entre migration féminine est regroupement familial serait basée sur une perception idéologique et dissymétrique de la conception du masculin et du féminin, fréquemment rencontrée chez les chercheurs qui considèrent l’homme comme désignant la généralité sociale. La représentation de la migration féminine n’échappe pas à cette même représentation qui dénie aux femmes toute capacité d'agir de façon autonome. 
Colette Guillaumin, dans son article « Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de Nature » a défini l’origine de cette approche comme “une organisation mentale inconsciente de la saisie de l’autre” ; d’où la place réduite que les migrantes occupent dans les pays d’accueil.
Fatima Ait Ben Lmadani (sociologue marocaine) affirme également dans son livre « Femmes et émigration marocaine Entre invisibilisation et survisibilisation : pour une approche postcoloniale » que la migration féminine est encore trop souvent pensée dans le sillage de celle des hommes. 
Ainsi les femmes issues de pays majoritairement musulmans ne semblent avoir que le regroupement familial comme seule voie ou prétexte de migration.
La féminisation de la migration semble être présentée comme un phénomène ne nécessitant pas une lecture particulière mais certains travaux qui se sont penchés sur les trajectoires des femmes migrantes ont trouvé une grande diversité :en effet à partir des années 70, l’épouse rejoignant son mari n’était plus la seule option migratoire chez les femmes marocaines, plusieurs cas de femmes chefs de famille à la suite de séparation ou veuvage, de migration économique autonome, de migration qualifiée et d’étudiantes, etc. ont été retrouvées.
Dans la periode postcoloniale, les déplacements de femmes seules témoignaient de leur « pouvoir d'initiative face aux pesanteurs sociales et culturelles de leur société d’origine. » dit Fatima Ait Ben Lmadani.
En parlant de l’émigration des femmes de l’Est, dans son article “Émigration des femmes : suivre, fuir ou lutter”, Mirjana Morokvasič la décrit comme une quête d’autonomie qui s’inscrit dans la continuité des dynamiques des sociétés de départ et dans les mutations que les femmes introduisent dans les diverses sociétés qu’elles traversent. 
La Tunisie a été précoce par rapport aux autres pays arabes et musulmans en ce qui concerne l'émancipation des femmes.
               Longtemps avant l'indépendance, Ibn Abi Dhiaf, (1804-1874) et son Epître aux femmes (Risalah fi al'mar'a); ainsi que le ministre Khair-Eddine, acteur majeur du mouvement de réforme tunisien, qui avait appelé à l'éducation des femmes et à la modernisation du système politique.

              Quelques organisations de femmes pionnières ont vu le jour à l'époque coloniale dont l’Union des femmes musulmanes de Tunisie qui s'est concentrée principalement sur l'émancipation des femmes et la scolarisation des enfants défavorisés.
Au cours de cette période péri-coloniale et coloniale, il existait peu d’information à propos de la migration féminine.
Le début du 20éme siècle a connu certaines femmes migrantes dont Tawhida Ben Cheikh (1909-2010) premiére femme médecin pédiatre et ensuite gynécologue dans le monde arabe et musulman qui a migré seule pour faire ses études à la Faculté de Médecine de Paris.
Depuis l'indépendance du pays (1956), la migration des femmes vers l’Europe avec leurs époux serait transposable à l’exemple marocain. 
      
A la fin des années 70, les premiers sujets de recherche sur les femmes, en particulier en histoire et en sociologie ont vu le jour dans les universités; concordant avec l'émergence d'une conscience féminine capable de repenser la question de la femme et de la féminité; le mouvement féministe tunisien.
Le mouvement féministe tunisien autonome a vu le jour en 1978 au Club Tahar Haddad, porté par un groupe de d’étudiants de l'Université des Sciences Humaines de Tunis en parallèle avec la création de la Commission Syndicale des Femmes.
Des membres féminins du Syndicat, des enseignants et des chercheurs scientifiques ont créé cette commission le 8 mars 1982, lors d'un événement, en présence de Taieb Baccouche, secrétaire général de l'UGTT qui a avalisé la mise en place de la Commission d'étude sur la condition de la femme à Travail, au sein de l'UGTT.
   
               Tout au long de cette période, la classe moyenne supérieure et bourgeoise a vu augmenter le nombre de femmes migrantes seules en Occident surtout pour poursuivre des études.

Pendant les 23 années de l’ancien régime ce phénomène de migration féminine s’est accentué, il s’agissait surtout de femmes qui partaient seules dans des cadres de formations universitaires. Mais également pour travailler, y compris dans des organismes internationaux. 

       En 1991, le Centre de recherche, d'études, de documentation et d'information sur les femmes (Credif) a été créé en 1991 et qu'une commission nationale « Femmes et développement » a vu le jour.
Le Président a même annoncé la création d'un Secrétariat d'État aux femmes et à la famille. 
La cause de la femme était utilisée pour promouvoir le régime mais le régime n'était pas prêt à accorder l'égalité absolue entre hommes et femmes.
               Après la révolution, une cascade d’événements mettant symboliquement en danger l'émancipation des femmes tunisiennes a eu lieu ; les faits les plus marquants étaient les profanations des deux tombes de Tahar Haddad et Bourguiba par des extrémistes islamiques.

Plusieurs ONG féministes ont vu le jour en Tunisie et en France, elles avaient des objectifs communs : le combat pour la parité et l'autonomisation des femmes via l'inclusion dans la Constitution du principe d'égalité totale, la séparation de la politique et de la religion et la dimension universelle des droits de l'homme. Ces organisations ont également participé au maintien d’une mobilisation de la société civile réelle et virtuelle et continuent à soutenir le plaidoyer pour l'égalité successorale en Tunisie.
La lutte sans relâche des organisations féministes et de défense des droits humains tunisiennes depuis plus de trois décennies a permis la désacralisation de la question, ainsi que l’ouverture d’un débat public en faveur de l’égalité successorale. 
Ainsi, le Conseil des Ministres tunisien a adopté, un projet de loi visant à consacrer l’égalité successorale en Tunisie, ce projet est vivement discuté par des activistes féministes qui le jugent insuffisant puisqu'il laisse une porte ouverte selon son article 2 pour instaurer un héritage selon la chariaa, si le patriarche le souhaite de son vivant.
La migration féminine tunisienne est devenue plus diversifiée avec le temps : migration des femmes dans le cadre familial et procédures de regroupement familial, migration pour poursuivre des études, migration économique selon les marchés du travail mais également femmes réfugiées politiques, ainsi qu’une migration irrégulière dans les bateaux à travers la Méditerranée.