26 mars, 2018

Langue des signes, histoire et perspectives

La langue des signes aurait selon les anthropologues apparue bien avant les langues orales, du temps où l’appareil phonatoire de l’Homme n’était pas encore développé.
Il s’agit d’une langue que nous pratiquons instinctivement, certes de façon non codifiée et ce depuis la naissance

Dans l’Antiquité, l’intelligence était étroitement liée à la parole.
Aristote pensait que les personnes qui ne parlaient pas étaient incapables de penser.

Les sourds, qui étaient donc depuis isolés, n’ont pas pu enrichir leurs langues signées et de ce fait ne disposaient pas d’une langue élaborée pouvant ouvrir les portes de l’éducation ; ils passaient donc pour des personnes simples d’esprit.

A partir du 16ème siècle, des peintres sourds tels que Juan Fernández Navarette, peintre espagnol, surnommé el Mudo (le Muet), ou Pinturicchio, né Bernardino di Betto, peintre italien sourd qui a entre autres participé au décor de la chapelle Sixtine, ont été reconnus.
Au cours de cette même période, des enfants sourds issus de la noblesse espagnole, ont été instruits par des précepteurs ; Pedro Ponce de Leon fut l’un des premiers percepteurs qui s’intéressèrent aux codes gestuels existants, on rapporte d’ailleurs, qu’il était le créateur de l’alphabet manuel ; certains chercheurs modernes suspectent que cet alphabet soit basé, en partie ou en totalité, sur de simples gestes de mains utilisés par les moines ayant fait vœu de silence.
Pedro Ponce utilisa cet alphabet latin signé entre autres, pour enseigner auprès de ces enfants sourds appartenant à l’aristocratie espagnole ; alors qu’une majorité mettaient plutôt l’accent sur l’apprentissage de la parole.

L’abbé de l’épée , né Charles-Michel Lespée fut, en 1760, le premier entendant connu pour son intéret aux modes de communication chez les personnes sourdes
Il avait découvert en observant des jumelles sourdes, l’existence d’une langue des signes.
Il décida de s’appuyer sur cette langue pour instruire les enfants sourds.

Il fonda la première école pour enfants sourds et a essayé en travaillant avec les sourds de créer des « signes méthodistes », qui introduisaient des notions grammaticales propres à la langue française comme la conjugaison mais l’erreur était de vouloir assimiler la structure syntaxique du français à celle de la gestuelle des sourds.
C’est entre autres ce qui explique l’échec de cette méthode d’enseignement qui ne tenait pas compte de l’identité culturelle sourde, les signes étaient créés par des personnes entendantes et imposés aux sourds ;

Cette école est devenue aujourd’hui l’Institut national des jeunes sourds ou Institut Saint-Jacques, à Paris.

En 1791, deux ans après la mort de l’abbé de l’épée, l'Assemblée nationale française reconnu que les sourds devaient bénéficier, comme les autres citoyens des Droits de l'homme.
Cette même période avait connu l’apparition du courant « oraliste » qui stipulait que les sourds doivent apprendre à parler pour s’intégrer dans la société. 

Ainsi, Le congrès de Milan qui s’est tenu en 1880 interdit la langue des signes en argumentant que ce n‘est pas une vraie langue, qu’elle ne permet pas de parler de Dieu et que les signes empêchent les sourds de bien respirer et favorisent la tuberculose.

Ainsi, la langue des signes a été proscrite pendant 100 ans et dans les instituts de sourds, les élèves signaient en cachette.

Durant les années 1980, se produit ce que les sourds appellent le «réveil sourd».
A ce moment, l’épidémie de VIH à ses débuts tua beaucoup de jeunes y compris sourds et un grand mouvement d’indignation naquit ; les jeunes sourds voulaient comprendre ce qui arrivait à leurs amis ; ainsi fût créée la première grande consultation en langue des signes à l’hôpital Pitié Salpêtrière à Paris ; c’était la première fois que les sourds avait un vis-à-vis institutionnel dans le domaine de la santé qui parlait leur langue ;
La langue des signes commence alors à reconquérir ses lettres de noblesse avec William Stokoe, linguiste, qui étudie la langue des signes comme une véritable langue. Des chercheurs en linguistique et en sociologie tels que Christian Cuxac et Bernard Mottez poursuivent ce travail et mettent en avant la culture sourde qui y est rattachée y compris sur le continent américain avec la création de l’International Visual Theatre (IVT).
Une réflexion sur la nécessité d’une philosophie bilingue pour l’enseignement auprès des élèves sourds commence alors à germer dans les esprits et ce sera la société civile qui prendra l’initiative de lancer ces cours dans un contexte législatif et sociologique difficile.



Progressivement les mentalités et les représentations évoluent.
Les combats menés depuis 25 ans pour la reconnaissance de la langue des signes commencent à porter leurs fruits via la reconnaissance de la LSF comme «langue à part entière» en France en 2005, la LST est également reconnue comme langue officielle en Tunisie en 2006.

En 2008, la LSF devient une option pour le Bac, comme n’importe quelle autre langue.
En 2010, le CAPES de LSF est créé.
En Tunisie, un enseignement universitaire est créé visant la formation d’interprêtes en langue des signes.

A travers l’histoire de l’humanité et dans les différents contextes, l’apprentissage de la communication orale était imposé aux personnes sourdes ; par la suite, une frénésie de tout traiter rendit l’appareillage auditif une quasi obligation ;
Ces deux méthodes sont malheureusement souvent vécues comme des agressions par les personnes sourdes.
Les sourds ont toujours été obligés de s’adapter aux entendants et jamais l’inverse ; imposer la langue parlée à une personne sourde est une violence équivalente à lui d’imposer des signes créés de toutes pièces qui n’ont aucune logique pour le fonctionnement de la noèse sourde ;
Ainsi, il est important de souligner que toutes les langues des signes sont importantes, qu’elles soient étudiées, héritées, ou fruit d’un brassage ;
Chaque personne a le droit de communiquer dans sa langue car la langue est la porte de l’identité ;
La langue des signes est un superbe exemple de l’impact des migrations, ce brassage culturel tant acclamé, se trouve tout juste à son apogée chez les sourds qui par soucis de communication font évoluer leur langue en fonction de leur environnement, qu’il soit naturel, culturel ou social ;
Ça nous pousse à réfléchir sur des questions théoriques fondamentales telle la production symbolique des identités collectives, la cohésion sociale et l’analyse des processus sociaux de catégorisation.
La ou les entendant ont échoué, les sourds ont réussi : la création d’un langage commun comme première étape vers la cohabitation, la lutte contre la discrimination et l’instauration de la tolérance.

Parce que la santé est un droit fondamental et qu’il n’existe pas d’accès aux soins sans communication, nous vous invitons à signer et partager notre pétition visant l’OMS pour rendre l’accès des sourds aux soins en langue des signes une priorité, dans le monde.





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