30 juin, 2008
SEXUALITÉ
« LA SEXUALITÉ humaine connaît aujourd’hui trois approches principales.
Pour le physiologiste et le psychologue expérimental, elle est une fonction parmi d’autres, une pulsion à côté de la soif, de la faim, du sommeil. Assurément, elle ne se range pas, comme ces derniers, dans les besoins primaires, dont la satisfaction est indispensable à la conservation de l’individu. Elle ne se réduit pas non plus à un instinct au sens des éthologistes, c’est-à-dire à des mécanismes nerveux tout montés, puisque l’exemple de congénères avertis intervient dans sa mise en place. Bien plus, c’est un besoin problématique, car il doit composer avec les exigences du travail et passe par des excitants symboliques qui le rendent à la fois moins urgent et plus permanent. Mais enfin, dans cette perspective, on reste sur le terrain solide de la théorie du comportement motivé, où l’accouplement et la masturbation solitaire ou réciproque apparaissent comme le résultat de l’intégration progressive de comportements partiels, joints en séries compréhensives par le renforcement de la récompense. Le rapport Kinsey dénombre les variétés (somme toute restreintes) et les occurrences (somme toute constantes) de ces comportements pour un échantillon donné. Plus significativement, les études de Masters et Johnson nous apprennent que les soubassements physiologiques des réactions sexuelles (phase d’excitation, phase en plateau, orgasme, résolution) sont stables et parallèles d’un sexe à l’autre, d’un individu à un autre.(RQ : il parle de la physiologie de l’acte sexuel qui est chronométrée et qui passe par des phases successives qui différent entre le sexe masculin et le sexe féminin, et ce, bien entendu sous l’influence des secrétions hormonales et des influx nerveux qui ne sont pas seulement parasympathiques, mais mixtes puisque l’acte sexuel est sous l’emprise et adrénergique et cholinergique)
Il existe une deuxième lecture. La théorie et la pratique de Freud supposent que les organes et les comportements sexuels fonctionnent littéralement comme des systèmes de signes et d’images (pénis = fèces = enfant = cadeau = argent = vierge = prostituée, etc.) en des équivalences et des ambivalences, des métaphores et des métonymies constituant une vraie dialectique. Cette dialectique donne le sens de la succession des «objets» et des «buts» sexuels dans les phases libidinales de l’enfance et de l’adolescence, où, comme l’ont souligné K. Abraham et E. Erikson, se jouent toutes les relations fondamentales entre un individu et son univers: continu de l’oralité(RQ : le plaisir qu’éprouve l’enfant passe par la bouche, la satisfaction alimentaire étant le principal constituant érotique), discontinu de l’analité (RQ : le refus de l’enfant de laisser sortir ses selles et tout ce qui l’entoure comme conditionnement qui fait que ce dernier croit que c’est un cadeau qu’il fait à ses parents, ses selles étant très précieuses, et toute la complexité qui en découle, par exemple «l’accès de céphalée est comme un orgasme de malaise» et signifie un acte sexuel pervers, sadomasochiste à caractères de régression anale, c’est à dire une régression de l’acquisition du contrôle de la défécation ), réciprocité externe-interne de la génitalité. Pour autant, la sexualité est l’intégration primordiale du corps, du signe et de l’image, en quoi consiste le corps propre. Et les complexes de castration(RQ : la fille croit qu’elle est castrée et le garçon vit la peur d’être castré) et d’Œdipe (RQ : en sachant que personnellement, je penche plutôt vers Gilles Deleuze qui nie la théorie psychologique Du complexe d’ŒDIPE), qui forment ses péripéties majeures, déterminent l’essentiel de la destinée humaine, puisque, par-delà la fabulation d’un organe menacé et d’une rivalité triangulaire de l’enfant, de la mère et du père, l’individu y accepte de se situer autant (davantage) dans des signes que dans des réactions organiques, dans la loi que dans la pulsion, dans le langage que dans l’image. Pour Jacques Lacan, qui a vivement thématisé ces derniers points, le pénis magnifié et renoncé en phallus serait même le signifiant par excellence, celui dont le surgissement et le voile exprimeraient l’emprise des signifiants sur les signifiés, en vertu de laquelle la signifiance en général déloge tout l’ordre humain des besoins vers le désir, et jusqu’au désir du désir de l’autre. De la sorte, Freud n’a pas privilégié la sexualité parce qu’elle est exigeante, mais parce qu’elle est originaire. Et du coup, elle a dû le conduire à la découverte du toujours-déjà-là, de l’inconscient, motion et structure. Les anthropologues et les sociologues, qu’ils soient plus structuralistes ou plus dialecticiens, se rattachent tous de quelque manière à cette vue sémiologique.
Une troisième approche est alors attentive aux séquences sensori-motrices de l’accouplement (orgasme en tant que porté par la caresse), ce qui la distingue de la psychanalyse traditionnelle; mais elle recherche leur sens fondamental, ce qui la différencie du béhaviorisme. Ainsi, pour S. Ferenczi, l’intromission et le «sommeil» du coït accompliraient ontogénétiquement le retour à la mère, et phylogénétiquement le retour à la mer. Semblablement, le vertige sexuel apparaît à G. Bataille comme la transgression momentanée du discontinu que sont l’organisme (individuel) et le travail (social), vers le continu de l’espèce et de la procréation, le magma vie-mort-vie, qui fait le fond de la réalité. De même encore, les existentialistes ont décrit certains aspects du «vécu» érotique (en particulier la pudeur et l’obscène) à l’appui de leurs vues sur l’être-au-monde, l’être-avec, la relation sujet-objet, l’incarnation, l’intentionnalité, la détotalisation; et H. Van Lier, à la suite de A. H. Maslow, a mis en relief, dans la caresse et l’orgasme, un type de perception et de réalisation de l’espace et du temps, parallèle à celui de l’art majeur et de la mystique, permettant de comprendre que le coït soit le lieu de la symbolisation, de la fantasmatisation et du plaisir dans un sens réconciliant la pulsion de vie et la pulsion de mort. H. Marcuse a présenté le sexuel libéré comme le pôle opposé au rendement répressif. Mais de pareilles observations ne sont pas le propre des philosophes et des phénoménologues, et l’on trouve les plus pénétrantes chez les poètes et les romanciers (…)
Le foisonnement de toutes ces lectures confirme d’abord le sociologue dans l’impression que lui fait l’observation de la vie quotidienne, à savoir que la sexualité est redevenue en Occident, après vingt-cinq siècles d’existence souterraine, un thème central. Il peut voir alors dans l’approche behavioriste l’aboutissement d’une mentalité positiviste et hygiéniste, d’autant plus désireuse de réduire l’activité sexuelle à des schémas simples qu’elle se prête à la mystification. Il remarquera la connivence entre la virtuosité dialectique des «objets» sexuels dans la psychanalyse et la suprématie actuelle de la linguistique et de la sémiologie. Il notera, à propos de l’approche rythmique, que le coït est le dernier lieu de nature pure (brute) dans un monde artificialisé et urbanisé; et, par ailleurs, que son type de communication préverbale est un détour presque inévitable pour des individus que l’équivocité des discours sociaux contraint à refonder sans cesse – seuls ou plutôt en couple– leur langage.
Mais le sociologue remarquera aussi que ces trois approches n’ont pas actuellement la même audience, et que la lecture hygiéniste (à laquelle se rattache l’asepsie souriante du sex-shop ) et la lecture sémiologique (sur laquelle s’appuie le fétichisme de la pornographie) se partagent la faveur du commun et des doctes, tandis que sont relativement peu évoquées, voire reléguées dans l’essayisme, les possibilités conjonctives et rythmiques. Or, ce sont ces dernières qui furent privilégiées par toutes les cultures extra-européennes (du tantrisme indien ou à la danse africaine) et qui, en Occident même, étaient encore alléguées (non sans défiance, il est vrai) dans les mythes platoniciens de l’androgynie et de l’enthousiasme, avant qu’Aristote formule une interprétation biologique du sexe, dont l’Église romaine et ses adversaires laïcs devaient être, malgré leurs conclusions divergentes, également héritiers.
Ainsi, l’Occident actuel compenserait certains inconvénients de la société industrielle par la revalorisation de la sexualité. Mais, selon une loi connue, il concevrait cette formation réactionnelle en privilégiant les deux modèles qui précisément commandent l’industrie: celui du rendement, dans l’hygiénisme behavioriste, et celui de l’informatique, dans la sémiologie psychanalytique. Ces deux modèles seraient encore favorisés du fait qu’ils conspirent avec l’obsession phallique, propre à l’héritage grec de la forme (eidos , forma , Gestalt ), et qu’ils se prêtent le mieux au discours, et donc aussi à une pédagogie sexuelle, dans une culture qui a remplacé l’initiation, que suppose la transmission d’un rythme, par la démonstration.
Cela inciterait à prévoir une montée de la perversion – qu’on la déplore ou qu’on s’en réjouisse avec une partie de l’intelligentsia. À moins que, selon la perspective de H. Marcuse et de W. Reich, les modèles du rendement et de l’informatique étant arrivés à un point de contradiction, la société industrielle ne soit contrainte (et capable, en devenant postindustrielle) de redécouvrir le rythme-plaisir et le rythme-présence comme le fondement de l’existence, supportant le travail lui-même ou formant avec lui les deux moments d’une respiration d’ensemble. En ce cas, la révolution sexuelle, dont il est beaucoup parlé, passerait par la révolution du plaisir. »
Van Lier Henri (docteur en philosophie, professeur à l’institut des arts de diffusion, Bruxelles)
Source : Encyclopédie Universalis5
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8 commentaires:
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