La migration irrégulière est un sujet d’actualité de par le
monde et surtout en Tunisie.
En effet, la Tunisie est devenue un pays de destination et de
transit à part son positionnement comme pays de départ des flux migratoires.
Il est crucial de rappeler que l’émigration est
un processus mondial qui incarne le droit à la liberté du mouvement. Ce
processus est multiple et dans le contexte tunisien il oscille en effet entre
et l’épique et le dramatique.
Ce phénomène social ne doit pas être perçue comme un processus négatif
puisqu’il est également porteur d’espoir et générateur de rêve de
renaissance.
L’émigration régulière dans le contexte tunisien vise généralement
l’emploi ou le regroupement familial. Ce type de migration est bénéfique pour
les pays et les personnes. Sur le plan mondial, cette migration permet de
répondre aux besoins du marché du travail ; la valeur ajoutée de la
migration à l’économie mondiale est de 3 billions de dollars annuellement. Les
pays hôtes profitent d’une main d’œuvre jeune à compétences multiples qui en plus
participe nécessairement l’activation de l’économie des pays hôtes via les services
demandés par cette population et les taxes payés. En contrepartie, les migrants
arrivent en général à améliorer leur situation
sociale via l’amélioration de leur situation économique qui se fait par
le truchement d’une stabilisation professionnelle avec parfois des perspectives
intéressantes. Ces mêmes migrants qui arrivent à envoyer de l’argent à leurs
familles se situant dans le pays de départ, permettent l’amélioration de la
situation familiale : les rémittences partent en général directement dans
les poches des familles. En effet, la migration pourrait être un outil de
développement à cause des transferts d’argent, de technologies et même de
valeurs.
Le deuxième type d’émigration est moins contrôlable car c’est
une migration irrégulière, cette dernière se présente actuellement sous plusieurs
aspects :
1-La
migration irrégulière par des moyens communs vers des pays développés, il
s’agit d’un voyage qui se passe normalement avec l’intention cachée de ne plus
revenir en Tunisie, dans ce genre de migration, la personne fait un dépassement
de séjour et essaye de se fondre dans la masse pour chercher un hébergement, du
travail, … parfois « perd » intentionnellement ses papiers
d’identification…
2- La
migration irrégulière via les bateaux en mer vers les pays développés qui reste le type de migration le plus dangereux et le plus meurtrier;
3- La migration
irrégulière/ clandestine visant le « djihad » ;
4-La
migration irrégulière/clandestine vers le marché de travail offert par les sectes ou organismes extrémistes telles
que DAECH actuellement. Il est important de noter que ceux qui partent ne le
font pas nécessairement pour des raisons d’excès de zèle religieux ou d’engagement terroriste. Ces agglomérations
humaines impliquent des échanges commerciaux de tous types qui peuvent être
très lucratifs dans ce contexte politique avec des avantages dus au monopole
quasi systématique de certains services.
Détaillons un peu plus ce type de migration vers des sectes
extrémistes ; il s’agit d’un phénomène ancien, présent également dans les
autres religions et /ou courants de philosophie sectaire ; ces
« organisations » recrutent continuellement de nouvelles personnes,
auxquelles ils offrent un système identitaire avec un passage par de multiples
étapes qui visent l’ascension au sein de la communauté qui devient une
unité : la personne n’existe plus comme entité sociale mais fait partie et
représente quelque chose de plus grand, de plus vaste : un groupe, une
organisation, une population, une « Omma ». Ces personnes devenus
« sujets », adhérent à un système de morale unifié, à un fonctionnement conformiste qui nient la
singularité ou la différence au profit de la discipline porteuse d’un sentiment
d’égalité et de justice. Ces agglomérations sectaires proposent un
« objectif » commun qui anile les aspirations personnelles au profit
du « bien commun ».
Il existe de
multiples réseaux de recrutement des jeunes; ces réseaux visent les jeunes et
adolescents psychologiquement fragiles, expérimentant une crise identitaire,
noyés dans un sentiment d’accablement pour des raisons multiples que nous
allons détailler par la suite.
Ces réseaux
de recrutement existent sur internet surtout via Facebook et les autres réseaux
sociaux mais également au niveau des prisons pour les jeunes qui sont emprisonnés
pour délits mineurs, dans les quartiers populaires, dans les mosquées, au
niveau des universités… Cette liste n’étant pas exhaustive.
Ce nouveau
type de migration pose un problème sécuritaire. Il s’agit en effet, d’un défi à
surmonter à l’échelle du monde en général et du pays en particulier. Cette
situation ne peut être dépassée si la problématique n’est pas traitée de façon holistique. En
effet, il faut traiter les vraies causes
de cette fuite vers ce comportement suicidaire basé sur le déni, le rejet des
conditions vécues et l’aspiration à un « meilleur, ailleurs »
quelques soient les risques encourus.
Il s’agit d’une question qui touche tout le monde :
gouvernement, société civile et individus, à laquelle nous devons essayer de
trouver une réponse, la responsabilité est partagée et la réflexion doit être
approfondie afin d’arriver à des solutions réalistes et efficaces puisque le
changement de valeur chez les jeunes est le résultat direct de la conjoncture
socio-politico-économique ou ils se trouvent et qui les impactes négativement.
Dans ce contexte et pour être méthodique, il faut de prime
abord, procéder à un état des lieux : Qui sont ces jeunes ? A quels
problèmes font-ils face ? Quel est leur avis ou sentiment par rapport à
leur vécu ? Quelles sont leurs aspirations ?
La Jeunesse a un poids démographique important, en effet, du
fait de la transition démographique et de la baisse de la fécondité, le
pourcentage des jeunes a augmenté et cette tendance se verra affirmée et
amplifiée jusqu’en 2025.
Cette
floraison de la population tunisienne ne doit pas être perçue
négativement ; il s’agit du dividende démographique et la Tunisie n’aura
que peu de temps pour profiter de ce bonus en mettant en place des politiques
visant l’amélioration des compétences des jeunes pour un adaptation au marché du travail, aux
technologies récentes, à la mondialisation et pour assurer un transfert entre
les générations.
Entre cette
cible et la réalité, il existe un grand écart puisque les jeunes souffrent d’un
taux de chômage élevé entravant leur insertion dans le tissu économique. En
effet, le pays comptait 241000 diplômes chômeurs en 2014 versus 125000 en 2009 ; le nombre de chômeurs a donc,
carrément doublé dans un intervalle de 5 ans.
Le chômage des diplômés pose un problème encore
plus coriace avec des différences larges entre les genres puisque 20.9% des
chômeurs diplômés sont des hommes et que plus que le double (43.5%) sont des
femmes.
Ces jeunes
chômeurs ont un accès très faible au système bancaire, qui ne leur permet pas
de profiter des opportunités d’investissement et/ou création de petits projets.
En effet, 3.4% des jeunes seulement ont eu des contacts avec les banques pour
le développement d’un projet.
Ces jeunes
restent dépendants financièrement de leurs parents, ce qui implique une
modification de la relation Parent -
Jeune - Adolescent, qui désormais oscille entre rébellion et soumission. Ce
fait peut être expliqué par la limitation de la liberté d’action et de
mouvement des jeunes pour des raisons pécuniaires. Cette privation est plus
amplifiée chez les jeunes filles sujettes au conservatisme et aux préjugés
sociaux. Elles cherchent des solutions à cette castration, ces dernières
doivent être socialement acceptées et sont parfois imposées. La solution
« magique » se résume en un
mot : mariage.
Les
retombées de cette dépendance financière sur les jeunes hommes ne leur permettent
pas de se marier. Ils endurent également le célibat prolongé qui est une
résultante directe du manque d’autonomie des jeunes par rapport à leurs parents
en raison de leur situation sociale et économique.
Il s’agit en
effet d’un cercle vicieux dont toutes les composantes soumettent des pressions
sur les jeunes qui se questionnent, se sentent coupables vis-à-vis de leurs
parents pour qui ils représentent une charge et ne voient pas le bout du
tunnel.
Cet état de
dépression peut conduire à des pseudo solutions de plein désespoir dont
l’abondan scolaire, le banditisme, la
criminalité, les addictions (usages de drogues multiples, alcoolisme…), le
suicide, mais également l’immigration irrégulière qui dans ce contexte et
malgré les dangers qu’elle implique semble être la plus constructive
puisqu’elle est porteuse d’un espoir de recommencer et se bâtir dans un
ailleurs « idéal ».
L’un des prémisses de ce désarroi reste l’abondan scolaire,
en effet, on compte en Tunisie une déperdition scolaire importante, les études
rapportent des chiffres autour de 100 000
abondons scolaire/an ; ce qui devrait être alarmant, car le nombre
de bacheliers est également autours de 100 000 réussites/ ans. Ainsi le
système éducatif tunisien n’arrive à retenir que la moitié des élèves.
Une grande
interrogation doit être émise : Pourquoi ces jeunes quittent et comment réussir
malgré le système scolaire ?
Le système
éducatif ne répond plus aux aspirations des jeunes, notamment dans sa fonction
d’ascenseur social. Le pourcentage des
jeunes (15 à 25 ans) qui ne sont pas scolarisés, qui ne travaillent pas et ne
suivent pas une formation est très élevé avec des disparités entre le milieu
urbain et le milieu rural: en milieu rural 46,5% des garçons et 81.5% des filles n’ont aucune activité visant
la formation et en milieu urbain 34.6%
des garçons et 60.2% des filles
sont également aux abois.
Le contenu
de l’enseignement n’est pas attractif pour les jeunes et ne leur permet ni
d’utiliser leur potentiel ni de leur offrir les opportunités qui correspondent
à leurs aspirations et talents. Les programmes de formation professionnelle
existent mais restent limités et nécessitent une mise à jour pour être plus
attractifs pour les jeunes et mettre en valeur leurs talents.
Le non accès à l’éducation ne signifie pas la non utilisation
des technologies de communication puisque 1/3 des jeunes utilisent l’internet. Ils
sont connectés pour suivre les informations, communiquer, chercher un travail,
travailler...
Il est
important de noter que sur les 4.6 millions de tunisiens utilisant le « Facebook »,
68% sont âgés entre 15 et 29 ans.
Ces
incursions dans un monde virtuel, ne font qu’augmenter la déchirure entre leurs
aspirations et la réalité de leur situation. Ce monde virtuel incontrôlable est
également une source de contacts, d’informations et peut être à la base d’intégration
de mouvements sociaux, politiques, religieux, sectaires…
En somme, nos jeunes sont tiraillés
entre une réalité qui pourrait être insoutenables pour certains et des
aspirations semblant irréalisables. Ces jeunes « Sisyphies »
commencent à baisser les bras et perdent confiance ; l’épuisement
intellectuel les poussent à l’isolement à cause de la crainte d’être déçu.
D’ailleurs, l’étude faite par la Banque Mondiale en 2012 montre bien que le
niveau de confiance des jeunes dans ce les entoures comme institutions est très bas : plus que 80% des jeunes
n’ont pas confiance dans les politiciens, prés de 60% des jeunes n’ont pas
confiance dans la police, 70% des jeunes n’ont pas confiance dans la presse,
50% n’ont pas confiance dans les écoles et pire, 50% n’ont pas confiance dans
le Pays…
Cette
confiance perdue, sera-t-elle un jour regagnée ?
Il ne s’agit
pas d’une crainte insensée, il s’agit bien, de faits réels qui poussent les
jeunes à être réticents et à ne plus avoir envie de s’impliquer. L’ailleurs est
porteur d’espoir, cet ailleurs inconnu semble plus digne de confiance…
Il existe en
effet, une absence de politiques de
développement centrées sur les
jeunes ; ceci accentue leur exclusion sociale et économique et renforce
leur désespoir.
Actuellement la Législation tunisienne accorde beaucoup
d’importance aux jeunes ;
L’Article 8 de la Constitution Tunisienne déclare que « La jeunesse est une
force agissante au service de la construction de la Nation et que L’Etat veille
à fournir les conditions permettant aux jeunes de développer leurs capacités,
d’épanouir leur énergie, d’assumer leurs responsabilités et d’élargir leur
participation au développement social, économique, culturel et politique. »
L’Article 47
de la Constitution Tunisienne assure le Droit à l’éducation « Les droits à la
dignité, à la santé, aux soins, à l’éducation et à l’enseignement sont garantis
à l’enfant vis-à-vis de ses parents et de l’État. »
Cet
engagement de l’état tunisien est plus prononcé dans l’Article 139 qui assure :
« Les collectivités locales adoptent les mécanismes de la démocratie
participative et les principes de la gouvernance ouverte afin de garantir la
plus large participation des citoyens et de la société civile à la préparation
de projets de développement et d’aménagement du
territoire et le suivi de leur exécution, conformément à la loi. »
Il est temps
d’honorer ces engagements et d’entamer un travail de fond pour que ces textes
de loi ne restent pas de l’encre écrit sur un papier.
Finalement, je tiens à rappeler qu’une migration organisée peut apporter un bénéfice notable aux
personnes et aux pays; cette dernière ne peut se faire que dans le respect des
droits humains fondamentaux. L’accès à une protection sociale et juridique
adaptée dans le pays d’origine permet de garantir que la migration soit un
choix et non une nécessité (OIM, 2010).
Alors,
partir? Peut-être pas…