La législation tunisienne individualise deux sortes d’avortement :
L’interruption volontaire de grossesse et l’interruption thérapeutique de grossesse ;
La première bien que très ambigüe reste régie par une loi très stricte et assez connue par le grand public: entre durée limite de gestation, modalités, locaux… elle mime en grande partie la législation française et elle est même plus souple par points, même si ceci étonne bon nombre de personnes ;
La deuxième, bien qu’elle semble plus défendable, reste très discutable puisque plusieurs aspects sont flous, que les procédures et les décisions sont par moments, aléatoires et imprécises.
Ce billet traitera de l’interruption de la grossesse sur décision « médicale », il se veut médicolégal et areligieux ;
Mettre fin à une grossesse peut être proposé par le médecin si cette dernière met en danger la vie de la mère, du fœtus ou des deux en même temps, elle peut également avoir lieu si le fœtus est porteur d’une pathologie très grave connue incurable ou d’une malformation ou aberration chromosomique importante .
Jusque là tout semble très logique : un truisme même ;
La vérité est toute autre !
Une première problématique se pose :
Quelles sont les maladies « incurables » ? Qu’est ce qu’une maladie grave ? Qui est à même de décider de la « gravité » ou de la « curabilité » d’une maladie ? Qui peut prévoir avec une certitude sans failles l’aboutissement d’une grossesse ?
On ne cherche nullement à démolir la confiance qu’ont les malades en leurs médecins ou en la médecine en général, mais quelques faits doivent être annoncés, pour plus de transparence;
Il ya plusieurs moyens de détecter d’éventuelles maladies ou dysmorphies chez un fœtus tels: L’échographie morphologique n’est pas sure à 100% puisque c’est un examen qui a ses limites qui est également opérateur dépendant, le dosage des marqueurs sériques maternels par le triple test qui n'est qu'un calcul de probablité...
Le diagnostic ne peut être porté avec certitude dans tous les cas, il s’agit généralement d’un jeu de probabilité, quand cette dernière est très forte on doit faire face à une décision qui n’est pas des moindres : mettre fin à une grossesse : l’avortement thérapeutique ;
Donc, lorsque toutes ces conditions sont réunies, tout un chantier psychologique est entamé dans l’esprit des parents : les étapes du deuil s’enchaînent, ce qui fait qu’au jour J , le couple est complètement détaché de ce produit de conception, ils ont hâte de terminer ce processus pour sortir de ce cercle vicieux …
Les organes sont dotés d’un potentiel de vie : on a tous eu droit, lors des cours de sciences naturelles au lycée, à l’étonnement que procure l’automatisme cardiaque : battement reflexe d’un cœur qui est encore perfusé dans une température physiologique même hors du corps, ce potentiel fait que le produit de conception peut continuer à vivre en dehors de la matrice ;
En sachant que les gynécologues qui prennent en charge la totalité du processus, refusent d’effectuer un acte « infanticide », un problème se pose lors des arrêts tardifs de grossesse ; le produit de conception peut continuer a vivre quelques heures, jours ou même années ;
On traitera de deux cas que l’équipe de néonatologie de l’hôpital militaire de Tunis à vécu
Le premier couple a décidé l’arrêt de grossesse pour une malformation complexe de la face avec de multiples malformations viscérales à un terme assez avancé, le nourrisson a survécu, ceci a créé de multiples conflits conjugaux, ils ont fini par divorcer au bout de quelques mois, la mère a pris en charge le nourrisson, qui est décédé à l’âge de 15 mois à cause de sa pathologie ;
Le « nouveau né » du deuxième couple a vécu pendant 3 jours, il a été pris en charge au service de néonatologie dans une couveuse chauffée, le père a refusé de nommer l’enfant et n’a pas payé les frais de cette prise en charge ;
L’arrêt thérapeutique de grossesse est supposé être une solution à un problème jusque là insoluble, une échappatoire pour le couple et la société, il ménage le couple, l’enfant à venir et la communauté en évitant beaucoup de souffrances et de dépenses ; ceci dit, il reste insuffisamment codifié ;
Du moment que la décision est prise, les conditions favorables devraient être réunies pour mener à bien cette opération en minimisant les souffrances ;
Partant de ce constat, des questions se posent et des réponses s’imposent :
Ce n’est pas très fréquent mais le produit de conception peut survivre ; l’éthique médicale ne permet pas de le laisser mourir par hypothermie ou hypoglycémie ; le prendre en charge est un devoir, ceci dit, il n’est pas inclus statistiquement parlant, au sein des naissances, il ne fait pas partie non plus du calcul des décès néonataux ; il ne bénéficiera donc pas d’un enterrement, mais sera incinéré comme n’importe quel membre gangréné amputé ou autre déchet hospitalier ; la législation et la communauté ne le conçoivent donc pas comme une personne ; la vraie question est la suivante : où se trouve la limite entre l’humain et le déchet ?
Le refus des gynécologues d’effectuer un acte infanticide semble se défendre, puisque l’arrêt thérapeutique de grossesse se fait généralement à un terme avancé ; discuter l’acte reviendrait en quelque sorte, à discuter l’euthanasie ; le rendre légitime devrait donc être l’abouchement d’une philosophie et d’une législation plénières ; ceci dit ce point de vue est absolument illogique et même erroné puisque l’arrêt de grossesse est lui même une « mini-euthanasie » : s’ils refusent cet « infanticide » c’est qu’ils prennent ce produit de conception pour un être humain ; ils ne sont donc plus en droit de proposer l’avortement, puisque avorter pour une malformation ou un handicap majeur est équivalent à proposer de mettre fin à la vie d’un adulte qui s’est trouvé après un accident porteur d’une paraplégie avec une différence : ce dernier possède la volonté de décider ; Refuser l’acte infanticide n’est donc pas aussi défendable et les arguments avancés par le gynécologues sont très frêles ;
Par ailleurs, aucune législation n’oblige un couple à prendre en charge le produit d’un avortement, si ce dernier est viable ; d’un autre coté, peut-on blâmer le couple qui vient de passer par cette rude épreuve s’il refuse de prendre en charge cet « enfant » ?
Si la médecine n’offre pas de solutions pour ces déboires, est -elle en droit de proposer l’arrêt thérapeutique de grossesse ?
En dehors de toutes ces réponses, et en l’absence d’une législation claire, une seule alternative s’offre pour le médecin : informer pleinement le couple des différentes débouchées de cet acte et leur laisser libre arbitre.